Aujourd’hui, c’est Histoire ! 3ième Partie : Arthur Penn

Publié le par Wolf Tone

Oh, oh, OH !!! On se calme et on s’assoit, bordel à cul de pompe à merde !!! Ca y est, je me repose quelques jours et c’est le bordel ? Ca va pas le faire, vous le savez… Et toi, arrête de vouloir pendre ton voisin trader : je m’en occuperai personnellement à la fin du cours.

 

Bon, j’espère que vous avez suivi : avant guerre, un cinéma pas encore vraiment en accord avec l’Histoire, enfin, pas avant « Le dictateur » de Chaplin. Vlan, ça pète, et hop, Rossellini nous pond le chef d’œuvre « Rome, ville ouverte ». Les bases sont posées en Europe, au point que la Nouvelle Vague pense déjà à autre chose. Du coup, c’est du côté des States, et de sa personnalité en crise que va se passer la seconde révolution du 7ième Art…

 

 

Vous l’aurez compris : le Nouvel Hollywood, vent de liberté créatrice démentiel qui a soufflé sur les U.S.A. de 68 à 81, est certainement ce qui s’est fait de mieux dans l’ensemble du 20ième siècle. Oh, ça n’a pas été une révolution spontanée ( « L’homme qui a tué Liberty Valance » de Ford en 62, Peckinpah ), mais deux films servent de points de repère, deux actes de naissances : « Le lauréat » de Mike Nichols ( mais oui, Dustin Hoffman, « Mrs Robinson » et tout et tout… ) et « Bonnie & Clyde ». Quid de « Easy Rider » ? 1969, les gars, 1969… Alors pourquoi choisir le second au détriment du premier ? C’est parce que s’il y en a bien un des deux qui reflètent le cynisme, la noirceur et surtout le désespoir de cette période noire outre Atlantique, c’est certainement le joyau de Penn…

 

 

« Quand on a commencé, j’ai cru que nous irions vraiment quelque part. Mais on ne fait qu’aller. » ( Faye Bonnie Parker Dunaway ).Le Nouvel Hollywood est sorti des cendres du FlowerPower. Et si ce sont les jeunes loups ( Scorsese, De Palma, Hopper… ) qui prendront d’ici peu les rênes, c’est un homme de théâtre, dont le premier film date de 1958 ( « Le gaucher » avec Paul Newman ) qui leur ouvrira symboliquement les portes. Déjà auteur d’un ciné conscient du malaise de son pays ( « La poursuite impitoyable », polar bien noir avec un face à face Marlon Brando / Robert Redford ), armé d’une grosse carrière télé, Penn pond en 67 un coup de poing dans la gueule, une odyssée à la fois touchante et terrifiante, celle d’une serveuse d’un bar paumé dans la cambrousse et d’un voleur de pacotille dans la Grande Dépression des années 30. C’est elle d’ailleurs qui ouvre le film, par le biais photos jaunies qui défilent sur fond de musique sortie de l’ancien temps, alors que les comédiens principaux et le titre passent du blanc au rouge sang. Premier plan : les lèvres rouges écarlates de Bonnie prennent tout l’écran. Juste après : Bonnie, en gros plan, cramponnée aux barreaux de son lit, est une beauté en prison. Dépression, jeunesse sans avenir, même le cadrage est inconfortable. Jusqu’à l’arrivée de Clyde Barrow. Là, comme par enchantement, les plans s’équilibrent, la lumière du jour est belle. Penn sort sa jeune femme de son marasme et lui donne l’espoir d’une autre vie.

 

Scène culte de l’histoire du cinéma, c’est le final du film, fulgurant de violence, qui est régulièrement cité comme genèse du cinéma à venir. Mais en plus de celle ci, présente dans l’ensemble du métrage, c’est aussi la révolution féminine et bien entendu le regard triste et désespéré d’un artiste sur son pays qui font que « Bonnie & Clyde » est la photographie d’une époque, compréhensible et transposable à la nôtre. Penn ne choisit pas un sujet contemporain ( comme, par exemple, Pakula et ses « Hommes du Président » ), voir d’actualité ( Coppola et « Apocalypse Now » ), il ne film pas nous plus le présent ( « Macadam Cowboy », « Un après midi de chien », et j’en passe… ), il préfére transposer ses peurs et ses craintes dans un ailleurs certes pas si lointain, mais tout de même hors de portée des nouvelles générations ( il remettra d’ailleurs le couvert avec son splendide « Little Bib Man », parabole du Vietnam et, une nouvelle fois, de la crise identitaire  U.S. ). Il ne veut pas d’un film arrêté dans le temps. La crise des années 30 suit elle aussi une période d’insouciance, et comme la guerre du Vietnam, elle coupe la nouvelle génération de son avenir. Bonnie et Clyde rejète cette fatalité : le voleur dit à la serveuse qu’elle aussi a droit à des robes de soie. Et cette accession à une vie méritée se fera par le biais de l’adrénaline, en prenant l’argent à ces satanées banques qui chassent les plus pauvres au profit des plus riches. La violence ? Des incidents de parcours ( « Pourquoi voulait il me tuer ? » se demande Clyde après avoir lui même tué un flic, avant de répéter : « Je ne lui voulais pas de mal, rien de mal… » ).  Plus tard, après ce premier véritable braquage, il l’avertira qu’elle ne connaîtra plus de moments de paix, ce à quoi elle répondra avec un air malicieux : « Tu peux me le promettre ? ». La mort du flic est supportable, tant le braquage est la fuite parfaite de l’atroce réalité du tous les jours. Et dans une certaine mesure, cela fonctionne : même si les palaces rêvés du début ne sont pas au rendez vous, l’argent ne manque pas, ainsi que la gloire médiatique. Penn fraternise avec les laissés pour compte qui veulent prendre les rênes, en fait des icônes de la population paupérisé par les puissants ( les âmes errantes seront d’ailleurs l’unique soutien du gang Barrow ).

 

Enfin sortie de sa geôle, Bonnie peut enfin vivre. Elle n’existait pas avant Clyde : d’ailleurs, bien qu’elle nous apparaisse pour la première fois chez elle, personne d’autre ne semble habiter là. Le réalisateur ne lui laisse que très peu de temps seule, et son passé nous sera raconté entre deux bouchées de Burgers par un Clyde extrapolant sur la vie morne et sans goût d’une génération entière. Peut être parce qu’elle est plus jeune qu’elle n’y paraît. Comme le dira le père de Moss, « ce ne sont que des gamins ». Qui en ont marre d’être considéré comme tel, surtout à une époque où le passage à la vie d’adulte se fait rapidement, avec violence. Bonnie sera d’un calme arrogant lors de son premier braquage, posera avec mitrailleuse et cigare, en jupe courte montrant ses porte-jarretelles. Penn lui donnera même le sacro-saint pouvoir sexuel au sein de son couple avec Clyde. Mais il ne peut pas la faire femme avant l’âge. Après le braquage « accidentellement » sanglant, alors que Clyde gueule sur Moss dans le refuge d’un cinéma, elle se plonge dans la comédie musicale projetée sur l’écran, image d’une fillette insouciante regardant le rêve d’une époque révolue. Lorsque Buck, le frère de Clyde, rejoint le clan Barrow accompagné de sa femme Blanche, Bonnie commence alors à réaliser deux choses fondamentales : non seulement Clyde a un passé sans elle, une famille, mais elle aussi, quelque part, a une mère. Et la course poursuite continuelle ( lorsqu’un homme demande à Clyde « Où allez vous maintenant ? », celui ci lui répond : « On ne va nul part, on fuit. » ) ramène de plus en plus la jeune femme à sa condition d’enfant loin de sa famille.

 

 

Et la chute peut alors commencer, accrochée à cette idée saugrenue qu’on peut se couper de la société et renouer avec elle aussi facilement. Cédant aux demandes incessantes de Bonnie, le gang Barrow l’accompagne voir sa mère. Mais on ne verra pas leur arrivée, comme nous ne verrons pas leur départ. Filmée avec un filtre apportant une coloration jaunie aux images, avec un son étouffé, les retrouvailles sont comme tirées d’un rêve, où tout est centré sur Bonnie, sur le visage de laquelle la caméra traque la moindre réaction, comme elle même semble vouloir tout enregistrer, pour en faire un moment parfait. Tout est faux, des arguments de Clyde pour rassurer sa belle-mère, à la présence de tous ces gens qui semblent n’être que des figurants dans le film mental que la jeune femme est en train de tourner. Et ce sera la mère elle même, alors que Clyde joue au gendre parfait en lui disant que le couple compte bien revenir vivre près d’elle, qui brisera le songe de sa fille : « Essaie de vivre à moins de 5 km de chez moi, et tu ne vivras pas longtemps, chérie… ». Bonnie a fui une prison dorée pour une autre sanglante, et il lui est impossible de faire marche arrière. Même lorsque elle demande à son homme, à la fin de leur parcours chaotique et anarchique, lors de leur dernier moment de paix, ce qu’il ferait s’ils pouvaient  faire table rase et tout recommencer, elle s’aperçoit qu’elle est seule : Clyde parle d’erreur de braquage, de tactique à revoir, alors qu’elle ne rêve plus qu’à la paix…

 

 

Tout part donc de là, de cette tentative de retour en arrière : Penn nous parle d’une génération broyée, sans avenir autre que les boulots à la con, et pour qui la violence n’est plus qu’un accident, qu’une sale nécessité. Coupé du monde, sans possibilité de retour ( « C’est ce que t’as dit ta mère ? » demande Clyde à Bonnie en pleine déprime / « Quelle mère ? » répond Bonnie ), le couple Barrow / Parker va être abattu comme des chiens, comme Burke, couvert de sang, blessé à  mort et à 4 pattes lorsque les flics arrivent enfin à l’avoir. Et s’ils n’ont pas droit à un procès équitable, ce n’est pas à cause de leurs forfaits, mais parce qu’ils ont osé se moquer d’un Marshall, qu’ils ont osé l’humilier. Le meurtre mérite un jugement. L’offense à la Loi, à l’Ordre, mérite la mort. Elle leur sera donné dans une séquence finale sèche, tendue à rompre sur plusieurs minutes, qui se terminera dans une explosion de violence sans la moindre complaisance, marquage au fer rouge d’une génération perdue, comme l’a pu être le « Big Shave » de Scorsese.

 

 

Bien avant Oliver Stone et son discutable « Tueurs nés », et avant même que les premiers plans de son film ne soient tournés, la polémique enfle autour d’Arthur Penn et de son projet de film glorifiant des hors la loi. Mais ses 10 nominations aux Oscars, son accueil et critique, et public, balayent tout sur leurs passages. Claque il y a eu, coup de poing auquel la jeunesse d’alors s’identifie sur le champs. En l’espace de deux ans, deux films fait avec trois francs six sous enfoncerons le clou, un film d’horreur fauché puis un road movies atypique, deux pieds de nez aux studios malades, incapables de suivre le tempo. « Easy rider » et « La nuit des morts vivants », avec leur moyen ridicule, mais plein d’une véritable passion du cinéma, prouveront qu’il n’y a rien de plus efficace qu’une conscience sociale et politique, et enterrerons le temps d’une quinzaine d’année les visions grandiloquentes des producteurs de l’ancien temps…


Photo prise juste après la mort du couple Barrow / Parker 

Bon… Nous voilà au point critique. 30 ans de travail sur la forme et le fond, de connections de plus en plus approfondi avec le présent, l’histoire et la société. Que reste t il à faire ? Juste à approfondir ce que les grands ont commencé à dévoiler. Il n’y aura plus de Chaplin, de Rossellini, ou de Penn. Mais il y aura leurs élèves, dont quelques uns seront digne de leur maître, et l’irruption de plus en plus fréquente de l’histoire dans des films pourtant dit « de genre ». M’enfin, bon, ce sont surtout les nouveaux chercheurs de formes et de vérité qui nous intéressent… Ouh, fatigué, moi… Allez, vous pouvez partir. Et toi, j’te laisse le trader : il est plus trop frais…

 

 

Publié dans Les Incontournables

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L
Tres instructif ! Merci !
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