" Johnny got his gun " de Dalton Trumbo

Publié le par Wolf Tone

Je savais en m’attaquant à l’histoire de Dalton Trumbo et de « Johnny got his gun » que cela me prendrait beaucoup de temps. Par contre, ce que je ne savais pas, c’est qu’il me serait impossible de faire tenir le tout en un seul texte. Parce qu’il y a beaucoup trop à dire, et que chaque ligne qui suivra, dans cette partie et les suivantes, est indispensable pour comprendre l’importance et de l’homme, et de l’œuvre. Voici la première partie : j’espère avoir le temps de pouvoir rapidement vous en donner la seconde.

 

Rares sont les films qui sont à la fois des œuvres majeures, et la trace laissée par un homme, comme le miroir d’une époque. Quel est le plus important ? « Johnny got a gun » l’œuvre, le cri pacifique, ou le sort de Dalton Trumbo, réalisateur d’un seul et unique film, victime d’une guerre dite « froide » ? Bien entendu, l’analyse filmique a sa place, et je m’y tenterai. Elle ne sera certainement pas facile, tant le film joue avec les codes du psychédélisme, et tire des traits avec l’onirisme ( il n’est donc du coup pas anodin que le film dû au départ être réalisé par Luis Bunuel ), deux thèmes dont je suis loin d’être connaisseur. Mais ce qui est proprement captivant, est de voir comment l’artiste et l’œuvre tiennent une place commune. De la même manière que le tournage d’ « Apocalypse Now » de F.F. Coppola est presque aussi passionnant que le film lui même, le combat de Trumbo durant la chasse aux sorcières du pré-Maccarthysme est certainement aussi important que l’adaptation de son propre livre. Entre la sortie du roman en 1938, et la sortie du film en 1971, 33 années. Entre la gloire en tant qu’écrivains et scénaristes, la clandestinité, et le retour en grâce avec son scénario pour le « Exodus » d’Otto Preminger en 1960, Dalton Trumbo accumula en un seul parcours un pan entier de l’histoire du cinéma américain, son plus sombre, celui de la liste des 10, la liste noire d’un pays en proie à la paranoïa. L’histoire avant le cinéma, le contexte comme base de travail. Ce sera donc l’histoire d’un homme, qui rejoint celle d’un pays. Après, uniquement après, celle d’un film.



Né le 9 décembre 1905, Dalton Trumbo commence à s’intéresser au cinéma en vendant des articles en tant que scénariste/journaliste indépendant vers la fin des années trente. Il devint par la suite rédacteur en chef de la revue des critiques cinématographique, le « Hollywood Spectator ». L’aventure ne dure qu’un an, et Trumbo entre alors dans la Warner Bros comme lecteur. Mais il en est renvoyé au bout de deux pauvres années, car le bonhomme refuse de démissionner de la Screen Writer’s Guild, que les grands studios considéraient comme trop progressiste… En effet, elle regroupe en fait tous les hommes de gauche de l’époque, et ce ne sera certainement pas l’unique acte politique de Trumbo : participation active auprès des Républicains espagnols, travaux réguliers et consistants pour des associations et comités pas des plus fréquentables ( « Join Anti-fascist Refugee Committe », « Anti-nazi League », « Committee in Defense of Negro Rights »…), l’homme est un citoyen responsable et engagé, et prépare le terrain à sa grande bataille de 1947.

 

Mais pour l’instant, il est un scénariste et un romancier qui s’affirme de plus en plus sa popularité. Arrive l’année de la consécration : « 1938 fut une année exceptionnelle, probablement la meilleure année de ma vie » ( Entretien parue dans la revue « Ciné 71 », n°158, Juillet – Août 1971  ). Mariage avec Cléo Beth Fincher, avec qui il aura 3 enfants, écriture de son premier scénario important, «  A man to remember » ( RKO – Garson Kanin ), qui annonce le « Citizen Kane » de Welles, et, surtout, sortie de son roman, « Johnny got his gun ». La même année, l’HCUA, la House Committee on Un-American Activities (littéralement « Commission de la Chambre sur les activités non américaines » ) est créée. Commission d’investigation de la Chambre des représentants des Etats-Unis, elle prend rapidement une direction clairement anti-communiste, prémisse du Maccarthysme et de sa chasse aux sorcières ( on trouvera parmi les membres un certain Richard Nixon ). L’année si favorable à Trumbo se trouve porter en elle les germes de ses pires moments.  

 

L’écrivain, dans son roman, fait preuve d’un pacifisme total, d’une volonté de montrer les horreurs de la 1ière Guerre Mondiale, et ce un an seulement avant le début de la Seconde. « La première Guerre Mondiale commença dans une atmosphère de kermesse estivale (….) . Neuf millions de cadavres plus tard, quand les fanfares s’arrêtèrent et que les altesses sérénissimes commencèrent à s’éclipser, les notes plaintives des cornemuses n’eurent plus jamais tout à fait le même son… » ( extrait de « Pourquoi j’ai écrit Johnny got his gun », par Dalton Trumbo ). Le roman raconte le calvaire de Joe Bonham, qui, le dernier jour de la 2nde Guerre Mondiale, est gravement mutilé par un obus. Homme tronc aveugle et muet, il est une sorte de curiosité pour les scientifiques, qui le maintiennent en vie, persuadé qu’il ne peut plus ni penser ou sentir. Or Joe est tout à fait conscient, prisonnier de son corps. Seul une jeune infirmière s’en rend compte… Dalton Trumbo gagne avec ce livre le Prix national de la littérature, et beaucoup de monde le sollicite afin qu’il en vende les droits en vue d’une adaptation cinématographique. Heureusement pour nous, il refuse toutes les offres, profitant de sa côte montante en tant que scénariste. Mais l’homme est toujours le même citoyen de gauche, le même militant. Lorsqu’en 1936 se créé le syndicat des scénaristes, Dalton Trumbo passe de la Guild à ce dernier. « Après 4 ans d’organisation clandestine [ donc en 1940 ], la « Screen Playwrights Guild a été officiellement reconnue par une majorité écrasante de voix comme la seule organisation représentative des écrivains de Hollywood » ( Ciné revue 71 ). ». En parallèle, l’HCUA continue sa chasse aux éléments subversifs et d’obédience communiste, mais Trumbo est nullement inquiété, continue à écrire et gagne même en respectabilité dans le milieu. Jusqu’en 1947…

 

Un an auparavant, l’HCUA obtient en du Congrès le statut de commission permanente. Elle fixe dés lors son attention sur les communistes réels ou supposés, et s’attaque à Hollywood, à la recherche d’influence ou de propagande rouge dans les Studios. Cette année là, l’HCUA fit 9 jours d’audience, neuf jours pour faire avouer, pour condamner toutes personne influentes à Hollywood pour propagande communiste. 300 personnes furent boycottées par les studios à la suite de cette mascarade de procès digne de l’obscurantisme le plus total ( dont Charlie Chaplin, obligé à l’exil ). Mais 11 hommes firent acte de résistance. Ils devinrent les 10 de Hollywood ( Bertolt Brecht ayant été expulsé des U.S.A. suites aux auditions ). En voici la liste : Herbert Biberman, Lester Cole, Albert Maltz, Adrian Scott, Samuel Ortiz, Dalton Trumbo, Edward Dmytrick, Ring Lardner , John Edward Lawson et Alvah Bessie.

 

 

Dalton Trumbo, refusant donc de témoigner, sorti de la salle alors qu’il déclarait : « C’est le début des camps de concentration américains ! »

 

Ces hommes refusèrent simplement, en invoquant le 1er amendement de la Constitution Américaine  de répondre aux questions suivantes : « Etes vous membres de l’Association de scénaristes ? » et « Etes vous actuellement, ou avez vous été membre du Parti communiste ? ». La commission n’arrivant donc à rien, et ce faisant pour ainsi dire humiliée par ces « témoignages inamicaux », suspendit les audiences. Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Groucho Marx, Frank Sinatra, Katherine Hepburn fondèrent un Comité pour le premier amendement et contestèrent à la commission le droit d'interroger quiconque sur son appartenance politique. Mais rien n’y fit… « En 1950, la Cour Suprême ayant refusé de réviser notre cas, nous avons tous été incarcérés un an durant, excepté deux d’entre nous : Edward Dmytryk et Herbert Biberman, qui n’ont eu que 6 mois de prison. Dmytryk est devenu un mouchard. Biberman, non » ( Dalton Trumbo, tjrs Ciné 71 ). Trumbo se retrouve donc en prison, et disparaît totalement du milieu Hollywoodien pour 10 ans…

 

Publié dans Les Incontournables

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