Les Incontournables : " Pat Garrett & Billy the Kid "

Publié le par Wolf Tone

Certains films, au-delà de leur beauté formelle et scénaristique, sont de véritables témoins d’une époque, des pierres angulaires dans l’histoire du cinéma. Décortiqués,analysés,encensés, ils resteront à jamais dans le panthéon du 7ième Art. Parfois, lorsque le temps me le permettra, j’essaierai d’en choisir un, pour le présenter, et surtout pour donner envie à ceux qui ne les connaîtraient pas, ou qui les auraient injustement oublié, de les voir. Bien entendu, des livres entiers leurs sont souvent consacrés, et je n’ai pas la prétention de faire mieux. Je veux simplement essayer de partager l’amour que je leur porte. « Pat Garrett and Billy the Kid » fait parti de ceux là.
Le contexte

 

Il y eu une époque bénie entre toute dans la production Hollywoodienne. Acceptons qu’elle débute avec le « Bonnie and Clyde » d’Arthur Penn ( 1967 ) et qu’elle se termine avec les « Portes du Paradis » de Michael Cimino ( 1980 ). Une période qui n’a pas d’égale dans l’histoire du cinéma mondial, bien loin devant notre Nouvelle Vague nationale. Un cinéma engagé, un cinéma miroir d’une des tranches d’histoire les plus noires qu’ait connu les U.S.A. De la guerre du Vietnam, du scandale du Watergate, des émeutes raciales, du premier choc pétrolier, naquirent une tornade créatrice outre-atlantique phénoménale. Little big man, La horde sauvage, French Connection, Taxi Driver, Apocalypse Now, L’exorciste, Marathon Man, Massacre à la tronçonneuse, Le Parrain, Les Homme du Président et des dizaines d’autres furent réalisés par les chiens fous qu’étaient alors les De Palma, Friedkin, Scorcese, Coppola, Cimino, aidés par ces autres monstres sacrés, leur alter ego devant la caméra : Al Pacino, Robert de Niro, Gene Hackman, Dustin Hoffman, James Coburn, Warren Beatty…

 Mais certains réalisateurs, déjà bien installés, perçurent le tremblement de terre et participèrent à créer un pont entre les productions fastueuses des studios mourants du milieu des années 60 et leur renouveau du début des années 70. Parmis eux, Don Siegel, Robert Aldrich, et surtout Sam Peckinpah. Peckinpah, l’homme qui se servit d’une autre figure de l’Hollywood des anciens temps, le western, pour nous parler de l’homme de ces années violentes, aussi bien physiquement que psychologiquement.

 Dans le western classique, la violence était une action tournée vers l’extérieur, vers la nature dangereuse de l’Ouest à conquérir, les indiens à combattre, ou les hors la loi prêts à tout pour vous prendre ce que vous aviez si durement acquis. Elle était acceptable, car juste. Peckinpah allait remettre les pendules à l’heure : son héros doute. Il n’a plus de frontières à repousser, l’ennemi est somme toute partout, et cette fameuse ligne entre le bien et le mal ne se trouve alors plus en dehors du héros, mais en lui. De plus, le réalisateur sent bien qu’il est hors du temps, qu’il est un dinosaure, comme ce vieux  shérif dans « Coups de feu dans la Sierra », obligé de convoyé de l’or pour gagné sa croûte. Peckinpah, c’est le vieil adepte du duel à l’ancienne confronté aux snipers qui tuent sans laisser la moindre chance à leur victime. C’est ce parrain du grand banditisme confronté à la férocité des caïds de banlieues. Et « Pat Garrett et Billy le Kid » est certainement le film clé pour comprendre au mieux la dualité et le désespoir de celui qui fut un des plus grands réalisateurs du 20ième siècle. Chef d’œuvre absolu, film crépusculaire à la beauté formelle et narrative époustouflante, « Garrett… » est le film d’un cinéaste au sommet de son art.

 

                                 L’homme Peckinpah

 

« Sam était comme moi un sacré fils de pute et ne pouvait fonctionner dans un système aussi rigide que celui d’Hollywood » ( Monte Hellman, entretien Cannes 1988 ).

 

Violent, autodestructeur, pervers et alcoolique : voici comment beaucoup parlait de Sam Peckinpah. Principalement connu du grand public pour « La horde sauvage », « Guet-apens » ou « Chiens de paille », il réalisa tout de même 14 films en 17 ans, de 1961 à 1978.Vilipendé par une partie des critiques qui ne voyaient en lui qu’un adepte de la violence gratuite et de la complaisance, adulé par d’autres qui le considéraient comme étant le pont parfait entre le classicisme d’Hollywood et son nouvel âge d’or des années 70, il fut la terreur des studios, un rebelle dans un système effectivement trop étriqué pour lui.

 

David Samuel Peckinpah est né le 21 février 1925 à Fresno, en Californie, une région très marquée par l’histoire de l’ouest, une histoire faite de cowboys, de valeurs alors déjà en voie de disparition. Après un passage en tant qu’employé au bureau du procureur de sa ville natale, il finit par être envoyé chez les Marines par son père, suite à son indiscipline notoire au collège. Il repris alors ses études à l’école d’élèves officiers de Camp Lejeune, en Caroline du Sud. Mais là encore, ses retards répétés dus à quelques beuveries monumentales le poussent vers la porte…

Il faudra attendre son arrivée à l’université de Fresno pour le voir s’intéresser au théâtre, et effectuer sa première mise en scène ; « Guest in the House », où une jeune femme fille psychopathe pénètre dans une famille d’américains moyens et l’anéantit méthodiquement ! Le ton est donné, et Sam Peckinpah ne s’éloignera que très rarement de cet univers subversif et violent, auquel il ajoutera son amour des grands espaces et de ces vieilles valeurs apprises dans le ranch de ses grands parents…

 

La génèse

 

Lorsque, en 1970,  des producteurs décident de lancer le projet « Pat Garrett et Billy le Kid », ils pensent d’abord à Monte Hellman, qui vient à peine de finir son « Macadam à deux voies ». Mais le film est un échec commercial, et le scénario passe de studio en studio, sans jamais arriver à trouver preneur. Il faudra que Peckinpah s’y intéresse pour qu’enfin le film puisse se monter.

 

Le réalisateur vient de connaître son plus gros succès commercial avec « Guet-apens », dans lequel joue Steve Mc Queen et Ali Mc Graw. Mais s’il accepte de tourner « Pat Garrett… », c’est pour sa passion pour la vie de Billy le kid ( Peckinpah n’a plus tourné de westerns depuis plus de 3 ans ). Il retouche le scénario ( au grand désarroi du scénariste Rudolph Wurlitzer ) et fait sa distribution : James Coburn sera Garrett, Kris Kristofferson est Billy, et le réalisateur créera le rôle très secondaire ( quoique hautement symbolique ) d’Alias pour Bob Dylan. Lui même se donnera un rôle ; celui d’un vieil homme faisant des cercueils, et qui dit à Garrett ( s’apprêtant à tuer Billy le Kid ), méprisant et désabusé : « On apprend qu’il faut se fier à personne, pas même à soit, Garrett, espèce de fouille merde ! ». Réplique prémonitoire…

 

 

Car lorsque le tournage commence au milieu de Novembre 1972, il vire de plus en plus au cauchemar : Bob Hulburd, responsable des effets spéciaux, sera rapatrié au U.S.A. avant de décéder ; suite à des déficiences techniques, certaines scènes seront à retourner complètement ; une épidémie de grippe ralentira considérablement les prises de vues. Et bien entendu, Sam Peckinpah continue son autodéstruction par l’alcool, inquiétant de plus en plus les producteurs de la MGM.

« Sur Chiens de pailles il avait commencé à beaucoup boire. Sur Junio Bonner il buvait réellement. Sur Guet-apens, il était ivrogne. Au moment de Patt Garrett, il était si diminué par l’alcool, qu’il n’a jamais vu le film complètement en préview » ( Roger Spottiswoode, monteur attitré de Peckinpah, et préssenti sur le film ).

 

Le tournage, prévu pour durer 50 jours, se terminera en Mars 1973. Et une nouvelle guerre commence contre les exécutifs : sous prétexte de leurs origines anglaises, les deux monteurs ( dont Spottiswoode ) initialement prévus sont écartés du film par les syndicats américains de la profession. La bataille entre le réalisateur et la MGM  est telle que James Aubrey, alors patron du studio, décide du montage final du film sans que Peckinpah ne puisse rien y faire, l’amputant de prés de 17 minutes. Peckinpah se remémore alors le « massacre » qu’avait subit son 3ième film, « Major Dundee », qui fut lui amputé de plus d’une demi-heure, et qu’il considéra jusqu’à sa mort comme « une des choses les plus douloureuses qui [ lui ] arrivèrent. ». Il attaque la MGM, demande 2 millions de dollars de dommage et intérêts, mais il n’obtiendra jamais gain de cause… Il faudra attendre 1990 pour qu’une version DVD pratiquement complète d’un peu plus de deux heures rende justice au réalisateur, mort le 28 décembre 1984.

 

Le film

 

Depuis, « Pat Garrett et Billy le Kid » est ( à juste titre ), considéré comme le plus beau, le plus personnel des film de Bloody Sam. L’histoire débute en 1881, au Nouveau Mexique. A Fort Sumner, Pat Garrett rend visite à son ancien compagnon de route : Billy le Kid. Il lui annonce qu'il est devenu le nouveau shérif du comté et lui enjoint de fuir au Mexique. Peu de temps après, Billy et deux de ses amis sont assiégés dans une cabane par Garrett et ses hommes. Billy, seul survivant, se rend. Emprisonné à Lincoln, il s'évade cependant le jour de son exécution. Garrett, sur l'ordre du gouverneur Wallace, part à sa poursuite .

 

Pour pouvoir briller dans les repas cinéphiles, il suffirait presque d’avoir vu uniquement le début du film, de la première image au lancement du générique. 1909 : dans des couleurs ocres, comme sorties du passé, nous voyons Garrett à cheval tomber dans un guet-apens. Alors que le shérif est criblé de balles, un montage alterne des images en couleurs, pourtant datées de 1881, où l’on voit Billy le kid s’entraîner au tir sur des poulets. Les impacts sur Garrett se confondent avec ceux sur la terre autour des animaux. L’alternance atteint son comble lorsque Garrett apparaît, et abat d’un seul coup de fusil un poulet, tandis que son corps s’écroule, 18 ans plus tard, sur la même détonation. Le générique peut enfin commencer, la tragédie est en place, la fin connue de tous. On pourrait presque s’arrêter là.

 

Si « Wild Bunch » était un film sur le désarroi, l’absence de but, un film sur les choix à faire, « Pat Garrett and Billy the Kid » ne nous en laisse aucun. Dans le premier, des enfants jouent avec des scorpions, les jetant au feu. Dans le second, la mort est déjà là, sous la forme d’une potence : les enfants se contente de faire de la balançoire dessus. Dans « La horde… », la violence explose, elle est filmée au ralenti, dans des gerbes de sang. Dans « Pat Garrett… », elle arrive en silence, entre les mots autour d’un verre, comme une fatalité. Les amis d’antan ne joue plus dans les mêmes clans, le pouvoir est bien en place, l’argent gère l’espace et le temps. Que reste t il aux êtres libres ? La fuite, et des valeurs. Garrett est la loi, et c’est d’ailleurs en ami qu’il encourage Billy à fuir vers le Mexique. Lors de cette première confrontation, Pat avertira son ancien complice : « Les temps ont changé ». Ce à quoi Billy répondra : « Les temps oui, pas moi. ». Puis, lorsqu’un des fuyards demandera pourquoi Billy n’en a pas profité pour tuer le Shérif, il dira simplement : « Pourquoi ? C’est mon ami. »

Tout est brouillé, faussé, Garrett est un homme de loi aux méthodes de bandits, les bandits ont des valeurs d’hommes de loi. Le pouvoir, symbolisé par Chisum, le grand propriétaire terrien qui pousse le gouverneur Wallace à envoyer Garrett à la chasse de Billy, permet à ces hommes à se livrer à toutes les exactions : viols, meurtres, exécutions sommaires. Du coup, qui sont les héros ? Sam Peckinpah a choisi : la position proprement biblique de Billy, les bras en croix, lors de son arrestation au début du film, ne nous laisse guère de doutes. Ce sera d’ailleurs parce qu’il a vu les hommes de mains de Chisum tuer un de ces amis, et sauver sa femme du même sort, qu’il renonce à la fuite vers le Mexique. Mais le réalisateur se refuse d’accabler Garrett. Lorsque le gouverneur lui offre une prime de 1000 dollars pour l’arrestation de Billy, ce dernier les jettent sur la table en lui disant « de se les mettre au cul ». Et comme il le dira lui même, lorsqu’on lui demande pourquoi il est passé de l’autre côté : « Arrivé à un certain âge, on ne veut plus se soucier de l’avenir ».

 

On peut dire que de ce point de vue, le film rejoint « Coups de feu dans la Sierra » et ses vieux cowboys cherchant à survivre dans un univers où ils n’ont plus leurs places. Mais « Pat Garrett… » va encore plus loin. Peckinpah filme ses grands espaces tellement aimés comme s’ils étaient une prison. Le moindre moment de paix est rapidement contre-balancé par un avertissement, un meurtre. La mélancolie, la tristesse touchent même au sublime lors de la mort du shérif Baker, que Garrett embarque avec lui à la recherche d’indices sur Billy. L’homme, blessé à mort, marche en titubant vers un lac, sous le regard de sa femme. Mais ce ne sont pas tant les larmes de cette dernière, la splendide lumière du couché de soleil, ou encore les notes de « Knockin’ on Heavens Door » de Dylan qui nous terrasse, mais le regard vide, le regard de mort que Garrett pose sur son ami mourant.

 

« Pat Garrett and Billy the Kid » aurait fait un splendide testament filmique pour Peckinpah. Il y a certainement mis tout son dégoût pour cette époque faite de violence et de trahison qu’était à ses yeux les années 70. Il a dressé un véritable autel aux hommes libres brisés par l’argent, le pouvoir, à qui l’ont refusait jusqu’à la fuite . Il y crache sur ses meurtriers sans âmes qui se cachent derrière leur soi-disant bon droit. Et, ce qui fait d’ailleurs de « Pat Garrett… » un chef d’œuvre, il y pleure sur ce monde qui pousse des amis à s’entre tuer.

 

A la fin du film, Pat Garrett tue d’une balle Billy le Kid. Puis il en tire une autre sur son reflet dans un miroir. Comme cette balle, tirée en début de film en 1881, et qui l’abat en 1909. La boucle est bouclée, l’époque de l’ouest est révolue. Viendra celle de la guerre, dans « Cross of Iron », qui sortira en 1977, avec son partenaire et ami, James Coburn. Pour ma part, le grand James restera à jamais Pat Garrett, passant la nuit prostré sur un rocking-chair, après avoir tué son ami, son double, Billy the Kid.   

Publié dans Les Incontournables

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