Alex de la Iglesia est notre ami...

Publié le par Wolf Tone


Alex est mon poto. Vouais. C’est même le poto de tout un tas de mecs à travers l’univers. C’est le gars qui m’a filé la plus grande barre de rire que j’ai eu dans une salle noire. Le gars qui a torché avec « Le crime Farpait » la meilleure comédie des dix dernières années, voire l’une des meilleures du ciné tout court. Et ce type est certainement un des plus Geek de tout les réalisateurs Geek ( avec Sam Raimi, Peter Jackson et Guillermo del Toro ). Alex ne nous veut que du bien, je ne vous veux que du bien, on va se faire que du bien en se tapant un rapide survol ( en deux parties, hein, tout de même…) par trois films de l’histoire d’un gars indispensable dans le cinéma ibérique.

Donc notre ami à tous, Alex de la Iglesia, est né en Espagne le 4 décembre 1965 à Bilbao, avec une maman basque, et un papa manchego. Ce type débonnaire, bourré d’un humour décapant, s’est donc tapé une enfance sous Franco, et une éducation politique pas piquée des hannetons. Si en plus on ajoute à cela un cursus universitaire en philosophie, c’est pas bien compliqué de voir en notre gros préféré un bouillon anti-conformiste, une petite bombe artistique ( il bosse depuis près de 20 ans à l’adaptation ciné de la BD hardcore de Liberatore, « Ranxerox »… ). Qu’attendre d’un mec pareil, si ce n’est une grande tache dans le conformisme, avec du cerveau derrière ? C’est à peu près ce qu’a dû se dire Pedro Almodovar lorsqu’il découvre en 1991 « Mirindas Asesinas », court métrage dans lequel Alex de la Iglesia balance ce qui fera les principaux ingrédients de toutes sa filmographie : humour noir, suspens et perfectionnisme. Le Monsieur cinéma espagnol donne donc au petit nouveau le fric pour mettre en boîte son premier long, « Action Mutante », et le petit en question n’y va pas de main morte, avec son groupe d’handicapés terroristes dans une société futuriste foutant à la baille tous ceux considérés comme inaptes ( physiquement comme mentalement ) à servir correctement la nation. Déclaration d’amour à tous les rebus de la société, « Action Mutante » n’est pas encore une véritable réussite artistique. Non, le grand moment est pour 3 ans plus tard, pour le « Jour de la Bête », et ça fait mal par où ça passe.

 

Veille de Noël, an de grâce 1995. Un petit curé théologien, Angel Beriartua, travaille depuis des années sur l’Apocalypse selon St Jean, et finit par découvrir la clef d’une énigme ancestrale : la date de la naissance de l’Antéchrist… dans moins de 24 heures ! Prêt à faire le plus de mal possible pour entrer dans les rangs de l’armée de Satan, le père Beriartua, aidé d’un métalleux débile, José Maria, part donc à la chasse au démon dans les rues de Madrid.
Avec ses fidèles comparses Jorge Guerricaechevarria ( scénariste sur la totalité des films de De la Iglesia depuis son court « Mirindas Asesinas » ), Alex Angulo et Santiago Segura ( respectivement Beriartua et Maria, et présents dans les deux précédents films du cinéaste ), et un budget plus conséquent, Alex peut enfin donner libre court à sa folie créatrice, tout en gardant intact ses positions digne d’un anar. Et surtout, il nous pond une ode aux films d’horreur sous forme de sombre comédie déjantée. Mais, comme pour Simon Pegg et Edward Wright 9 ans plus tard avec « Shaun of the dead », hors de question de faire dans la parodie facile ou le film clin d’œil sans intérêt. Non, le réalisateur veut un scénario solide, avec de vrais moments de tensions dedans, et un cerveau pour chapeauter le tout.

Solide, son histoire l’est, et il va mettre à son service une mise en scène à l’avenant. Pas de plans torchés à la va vite, pas de jeu de lumière déjà vu ou de sursaut à coup de chat-qui-saute-du-placard : du début à la fin, le réalisateur prouve qu’il a une vision complète de son œuvre, et surtout un véritable respect pour le cinéma de genre. Lentement, doucement, le rythme s’accélère, partant de séquences le plus souvent dialoguées pour devenir de plus en plus frénétiques, comme celle, terriblement longue, racontant la séquestration du professeur Cavan, un présentateur d’émission télé, soi disant médium et véritable escroc. Balançant entre vaudeville ( Beriartua voulant le sang de la vierge Mina ) et fantastique ( la cérémonie sataniste ), action ( l’évasion de l’appartement attaqué par le démon ) et drame ( le final bien entendu, mais aussi le désespoir de Beriartua ), le film assume entièrement toutes ces facettes et n’en bâcle aucune. On se marre, on angoisse, on est touché, aidé par un trio de comédiens épatants et une honnêteté qui transpire de chaque centimètre de pellicule.


Mais Alex de la Iglesia ne s’arrête pas là : notre gars a un cerveau, ne l’oublions pas, et sous ses faux airs de gosse un brin anarchique, il glisse tranquillou deux ou trois coup un brin subversifs pour l’Espagne… Faut déjà voir ce qu’il inflige à son héros de curé : pour atteindre son but, le père Beriartua doit pur et simplement renier sa religion, enquiller autant de pêchés qu’il y a de perles à son chapelet. Et quand on connaît la place de l’Eglise dans la société de l’autre côté des Pyrénées… De plus, il flanque Angel d’un alter ego qui écoute du Black Metal, gobe des acides et file des coups de boules à tout bout de champ. Je vous l’avais dit, Alex aime ses freaks, ses rebus de la société, il nous les rend attachants, malgré leur connerie, ou leurs actes déviants. Par contre, les médias, les bourgeois, les cathos, ça l’emmerde. Et au dessus du lot, véritable démon de son film, Alex de la Iglesia place son Anti-Christ, son Satan : l’extrême droite. Car autant il semble s’amuser de l’absurdité de la télé, se moquer des richards ( le coup de boule magistral de José Maria au bourge qui a envoyé sa caisse à la fourrière ! ), autant il prend très au sérieux le fascisme ambiant de l’après Franco. Rien de drôle ou d’absurde dans cette séquence où Beriartua assiste, horrifié et impuissant, à l’immolation d’un homme. Et lorsque enfin l’homme à tête et pieds de bouc se montre ( superbe représentation du Mal ), ce n’est personne d’autre que ces même nazillons qui l’accompagne. A tel point que nous ne savons plus si nous sommes réellement face à l’Anti-Christ, le réalisateur jonglant dans son montage entre les deux, les mettant sur un pied d’égalité… De la Iglesia ne peut s’empêcher d’ancrer « Le jour de la Bête » dans un discours politique amer, et ce sera la dernière fois qu’il le fera avec autant de virulence. Mais au lieu de plomber son film, le message ne fait qu’élever un peu plus le niveau, hissant le long métrage bien au dessus de la production fantastique de l’époque.

 

Et le public ne s’y trompe pas : 1 millions et demi d’espagnols fonce voir le bébé d’Alex, suivit par une critique heureuse de la notoriété que prend d’un coup d’un seul notre trublion. Succès non démenti à ce jour, permettant à Alex de la Iglesia d’alterner grosses machineries et petits films personnels. Premiers à succéder au « Jour de la Bête », « Perdita Durango » ( 1997 ), road movies devenu culte, et « Mort de rire » ( 1999 ), comédie et ode aux loosers inédite en salle par chez nous, deux films riquiquis et efficaces, avant que le réalisateur ne retourne à un budget plus conséquent avec « Mes chers voisins » ( 2000 ). Cette comédie noire et acide ajoute un nouveau succès, cette fois européen, à sa filmographie. Notre homme s’éclate avec cette histoire d’une représentante immobilière qui trouve 300 millions de pesetas dans l’appartement d’un homme récemment décédé. L’emmerdant, c’est que les autres habitants de l’immeuble estime que ce fric est aussi le leur, et sont prêts au pire pour récupérer le butin. Entièrement tourné dans un même décors, « Mes chers voisins » montre une nouvelle fois l’incroyable capacité du réalisateur à gèrer l’espace et le temps, et à rendre crédible les situations les plus folles. Reste que l’ensemble est légèrement en deçà de son « Jour de la Bête », peut être à cause d’une intrigue de base assez limitée, ou de comédiens moins inspirés. Il n’empêche que bien que le succès soit présent, « Mes chers voisins » n’est pas LE film qui lancera sa carrière au niveau international, LE film de la consécration planétaire… Après un nouveau film indépendant, « 800 balles » ( 2002 ), comédie mélancolique sur fond de faux western, Alex de la Iglesia va enfin nous la pondre, cette perle, ce petit chef d’œuvre : l’hilarant et formidablement chiadé « Crime Farpait »…

Publié dans Geek Power

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