Critique " Gomorra "

Publié le par Wolf Tone

Matteo Garrone l’a dit lui-même : montrer la réalité de la Camorra, sans fioritures ni effets de style, pour écœurer les jeunes trop souvent tentés par le pouvoir, l’argent. Le monstre tentaculaire de la mafia napolitaine broie, détruit, prend plus qu’il ne donne. Et ceux quelque soit le domaine d’action. Du simple guet au jeune bras droit impliquer dans la gestion frauduleuse des déchets toxiques, du couturier de contre façon de hautes coutures au comptable distribuant les paies aux habitants des quartiers pauvres, tous, sans exception, sont en danger de mort permanent. Même ces locataires sans fric ni avenir, sont à la merci d’un changement de clan, d’une guerre urbaine. Là où le Système s’implante, la paix n’a plus de place.

Pas d’enquête policière, pas d’ascension et de chute de truands à la Ray Liotta ou De Niro. Totalement anti « Parrain » ou « Affranchis », « Gomorra » se rapprocherait plus de la puissance de la trilogie « Pusher », les films coup de boule de Nicolas Winding Refn. Mais le cinéaste danois, malgré un parti pris très sec et réaliste, gardait tout de même un pied dans une mise en scène parfois maniéré, et une bande son chargée. Ici, Garrone épure au maximum, dans un silence quasi constant, et cadre comme pour un reportage de guerre. Seule la scène d’introduction, et une autre ( rappel évident du plan séquence final de « Taxi driver » ) avec Ciro,  rappellent les codes du film de truand, mais leurs conclusions sont sans appel : pas de repos, pas de zone protégée, le sang des autres est définitivement la sève nécessaire au Monstre pour sa survie.

Le seul confort que le spectateur connaît n’est alors que le siège sur lequel il est assis. Car pour le reste, inutile de chercher une porte de sortie. Garrone ne veut pas provoquer la moindre empathie avec ses personnages, tout juste nous donne t il en pâture certains certains plus humain que d’autres ( Toto le gosse qui suit sans comprendre, Pasquale le couturier tenté par le toujours plus, Ciro, le comptable lâche ), mais jamais il ne nous fait croire qu’il s’en sortiront, bien au contraire. Du coup, la sensation désagréable de n’avoir aucun référent, d’être balancé sans ménagement dans un univers dont on ne connaît pas vraiment les codes, uniquement les dégâts, peut laisser une drôle de sensation à la sortie de la séance. Garrone n’a pas voulu suivre le schéma du livre homonyme dont il est tiré, écrit par Roberto Saviano. L’écrivain fit à l’époque un travail de chercheurs, de journaliste d’investigation. Un livre si proche de la vérité que son auteur vit sous protection policière depuis le 13 octobre 2006. Le cinéaste, lui, nous propose un complément, un appendice au bouquin. Il ne nous apprend donc rien de bien nouveau, il se contente d’illustrer. Il met des images sur un monde trop souvent glorifié par un cinéma peu soucieux du réalisme. Mais il n’en rajoute pas non plus dans la violence, le sang et la victimisation de ses personnages. Tout comme il ne nous construit pas une histoire de rédemption ou de vengeance. Il nous propose « simplement » un reportage choral, où  l’on suit plusieurs hommes ou femmes dans leur quotidien au sein ou à la périphérie de la Camorra.

Donc pas de clef pour pénétrer ce monde interlope, pas d’empathie provoquée, pas de scénario rappelant de près ou de loin les classiques du film de mafieux, pas de mise en scène ou de musique  facilitant l’immersion, juste une caméra, des comédiens bluffant de réalisme, et la valse des vies. Et c’est ce parti pris qui justement nous plonge dans le dégoût, la solitude. On sort écœuré de ressentir si peu d’espoir, d’avoir quasiment aucune prise, de ne jamais ressentir le frisson que Coppola ou Ferrara nous procuraient lors des ascensions fulgurantes du premier ou ses scènes de vengeance du second. Si Garrone nous plonge la tête dans la fiente de l’humanité, ce n’est certainement pas pour y inclure un peu de rose. La merde restera à jamais de la merde, quelque soit le bout par lequel on y fourre un doigt.


« Gomorra » n’est pas un chef d’œuvre, ni un « bon » film. Mais il est d’utilité public pour l’Italie de nos jours, il devrait être projeté aux gosses paumés de Naples, en complément de la lecture du livre de Saviano. Il est l’évocation la plus puissante jamais réalisée sur la mafia, la vraie, la sale. Enfin le cinéma a son premier film réalité sur elle, comme « Bloody Sunday » sur le conflit Irlandais ou « Bad Lieutenant » pour la corruption, pour ne citer qu’eux. Des films importants.

Publié dans Critique Cinéma

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