Critique " Eldorado "

Publié le par Wolf Tone

« Yvan, dealer de voitures vintage, la quarantaine colérique, surprend le jeune Elie en train de le cambrioler. Pourtant, il ne lui casse pas la gueule. Au contraire, il se prend d'une étrange affection pour lui et accepte de le ramener chez ses parents au volant de sa vieille Chevrolet. »  Les résumés de films sont certainement ce qui me gave le plus. Alors une nouvelle fois, merci Allociné…

Facilement classé dans les road movies ( une caisse, deux mecs, hop, il en faut pas plus… ), « Eldorado » n’a pourtant que peu à voir avec ce sous genre fourre tout. Bouli Lanners ( plus connu comme comédien, et de préférence dans des productions atypiques style « Enfermé dehors » de Dupontel ou « Cowboy » de Benoît Mariage ) a bien entendu basé son scénario sur un voyage, mais pas sans but : le trajet d’Yvan et Elie est bien plus une parenthèse qu’une finalité en soi. Divisé en deux parties presque distinctes, l’histoire connaît d’ailleurs ses défaillances dans la première, celle du départ, du voyage en soit. Rencontre un peu trop non sensique ( le nudiste ), ou personnage à la personnalité trop désaxée ( Philipe Nahon et sa collection bien particulière ), on craint de voir le film tombé dans l’accumulation de saynètes, accrochées au hasard le long du périple des deux bras cassés.

Mais Lanners est en fait beaucoup plus fin que çà. Le premier indice ( et vraiment pas des moindres ) est la qualité de l’image, de la mise en scène. Le parti pris de soigner les plans, de changer les cadres, voire de chiader carrément certaines séquences est tellement rare pour un film totalement intimiste qu’il met en confiance : notre bonhomme sait ce qu’il fait, sait ce qu’il veut raconter. D’ailleurs, mis à part ces deux rencontres sur la route, le réalisateur et scénariste touche quasiment à chaque fois la justesse du bout des doigts, avec légèreté, par le biais de dialogue simple et de personnages humains. Non, pour lui, la route n’est pas l’histoire, elle est le prétexte pour se faire rencontrer Yvan et Elie ( leur premier contact est savoureux, entre burlesque et réalisme ), pour les faire aller de l’avant, et surtout, pour leur offrir cette parenthèse sans laquelle ils ne se seraient jamais livrés. Car il leur faut quitter « la Ville », jamais nommée, simple menace toujours présente, il leur faut s’en éloigner pour pouvoir redevenir humain, se frotter à une nature que Lanners filme avec un amour évident, dans de larges plans, de ceux qui donnent envie d’y être ( la beauté simple du bain dans la rivière est splendide tant elle est accessible ). Il faut bien tout ça pour préparer le terrain à la seconde partie.

Lanners savait donc ce qu’il faisait : comme un puzzle éclaté au gré des kilomètres, l’histoire se reconstruit une fois le bout de la route ( la maison des parents d’Elie ) atteint. Les rencontres, les non dit et les rares confidences prennent leur place dans un tout cohérent. La route n’est plus rien, même si elle est reprise, elle n’a plus d’utilité, si ce n’est celle de mettre en garde contre une fin somme toute banale. Banale à en pleurer. Car qu’attendre d’autre qu’un retour à la réalité, lorsqu’on n’a plus rien à faire dans la bulle de la parenthèse ? Et la réalité, la « Ville », ne peut pas être aussi belle et simple. La mélancolie qui planait parfois, au milieu de la bonhomie ambiante, gagne dès lors du terrain, au point de devenir tristesse. Et là aussi, en bon conteur, Lanners nous laisse un peu sur notre faim, dans un dernier plan qui dit tout et rien. Juste ce qu’il faut pour qu’on puisse imaginer une suite, une vie à Elie et Yvan, qui n’est pas besoin de la route pour s’éclaircir. Le tout en à peine 1 h 25. Comme quoi, parfois, il suffit de peu de temps pour voyager, et Lanners est un sacré compagnon de route…

Publié dans Critique Cinéma

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