Critique " Dorothy "

Publié le par Wolf Tone

Ola ! Urgence ! URGENCE ! Vingt jours que cette bombe est sortie, 20 putain de jours, et moi de vous pondre avec tant de retard ma petite déclaration à cette perle du cinéma de genre ! C’est mal fait la vie parfois, j’vous dis pas… La psychiatre Jane Morton est envoyée dans une île paumée au large du Donegal, en Irlande, pour étudier le cas de Dorothy Mills, une ado accusée d’avoir tenter de tuer un bébé. Mais la communauté où elle vit est plutôt retors à l’idée de voir une étrangère fourrer son nez dans les affaires locales.


Agnès Merlet nous fait la totale. Ici, pas de pan du film traité à la légère. Du casting au lieu où se déroule le film, de la description des membres de la communauté à l’aspect psychanalytique en passant par le poids de la religion, la réalisatrice marche sur un fil ténu qui passe de l’un à l’autre dans un équilibre presque parfait. En premier, il y a le choix de l’Irlande comme terreau à son drame. Pas le Celtic Tiger, mais l’Eire profonde, celle des Magdeleine Sisters, du catholicisme fervent, de la rugosité paysanne. Il faut savoir que la chrétienté irlandaise est assez particulière : au lieu de vouloir détruire les restes des religions antérieurs, elle les a englobé, digéré pour en faire d’autres pièces de son puzzle. Mieux, les moines irlandais furent pendant des siècles les restaurateurs d’une culture gaëllique et païenne tellement riche qu’ils comprirent qu’elle devait être transmise. Le tout donna alors un christianisme hybride, où le triskel devint la Sainte Trinité. Du coup, quoi de plus naturel que de se servir de cet univers entre bigoterie et surnaturel, de ce monde paysan plein de croyances et de paradoxes, pour nous conter l’histoire hors du commun de Dorothy ? Produit d’une société du secret, pétrie d’une dévoterie exacerbé, l’adolescente est la représentation du chaos psychique de sa communauté. Merlet arrive à nous le faire ressentir, que ce soit dans la violence contenue des habitants du patelin ( on se croirait devant les péquenauds de « Straw Dogs » ! ) ou dans les messes dites dans une chapelle austère.

Quid de la réaction quasi chimique provoquée par l’insertion de la psychanalyse dans un cadre si rigide et pourtant plein de compassion ? Une bombe. Canalisée dans l’esprit d’une gamine, l’anarchie psychique des habitants ne pouvait donner naissance qu’à un monstre aux multiples facettes. Et nous de découvrir une comédienne hors norme, Jenn Murray. Possédée, ou victime de dédoublement de la personnalité ? Mademoiselle Murray parvient à nous balader entre les deux, passant de la douceur d’une gosse de 3 ans et demi à la hargne meurtrière d’un jeune paumé à peine sorti de l’adolescence. Performance époustouflante, à vous dresser les poils dans le cou lorsque les bascules entre les différentes personnalités se font en l’espace d’un seul et même plan, brouillant les pistes ( Possession ? Maladie ? ), due à une actrice plus que prometteuse, et à une volonté de la part d’Agnès Merlet de garder le cap d’une approche réaliste. Du coup, nous ne sommes pas dans la mièvrerie bigote de « L’exorcisme d’Emily Rose », mais devant une tortueuse descente dans l’esprit humain proche de « Sybil », subjuguant téléfilm américain de 1976 tiré d’un fait réel, où une gosse développe 13 personnalité différentes ( la biographie dont a été tiré le film fit l’effet d’une bombe à sa sortie en 1973 ). Et lorsque ça se passe dans un patelin au milieu d’une île, dans un des pays les plus pratiquants au monde, vous imaginez les dégâts…


A vous d’aller découvrir le fin mot de l’histoire. Je ne suis pas ici pour vous raconter le dénouement, je ne veux que vous donner envie d’aller voir ce bijou franco-irlandais. Et continuer à décortiquer « Dorothy », c’est obligatoirement vous en dévoiler beaucoup trop. Une chose est certaine : c’est un film définitivement psychanalytique, et de part son sujet, et de part son traitement. Il ouvre les portes à des discussions interminables sur sa chute, sur le parallèle entre la mort et l’analyse ( en suivre une, c’est accepter de perdre une partie de soi en cours de route pour guérir ). Et ce n’est possible que grâce à l’intransigeance de Merlet, refusant de bâcler ne serait ce qu’une once de son métrage, traitant avec autant de rigueur et de respect ces personnages et ces décors, ses convictions et celles des protagonistes. Pas de jugement chez elle, juste une manière férocement honnête d’apporter sa vision. A vous de vous pencher sur la question, et ne loupez pas ce plaisir : un film de genre avec autant d’intelligence dedans, c’est bien trop rare pour être raté.

Publié dans Critique Cinéma

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