Critique " L'un contre l'autre "

Publié le par Wolf Tone

Georg est un policier intègre et apprécié. Pour ceux qui l’entourent, il a même la chance de vivre une vie de famille harmonieuse avec sa femme Anna, tandis que leurs deux enfants semblent grandir épanouis dans leur jeune vie. Un couple au vernis parfait, cachant un enfer conjugal : Georg subît de plus en plus souvent les accés de violence d’Anna…

Jan Bonny est un équilibriste. Il nous sert un film apparemment sur la violence conjugale, pour nous montrer la vie dans ce qu’elle a de plus atrocement banal. Crions bravo à ce parti pris de vouloir nous montrer l’homme battu, car grâce à lui, il dessine tout autre chose.  « L’un contre l’autre » n’est pas la simple réponse à « L’âme des guerriers » de Lee Tamahori. Bonny nous entraîne bien plus loin, pose bien plus de questions, mets le doigt sur ce qui fait mal, bien au delà des coups. Tamahori nous demandait : comment vit on la violence, et tentait par petites touches de nous dire pourquoi nous la faisons subir. Bonny nous demande plutôt : pourquoi sommes nous violents, et du coup, nous pousse beaucoup plus loin : qu’est ce que réussir sa vie ? Dans notre société, peut on vivre heureux en vivant caché ? Peut on fuir ad vitam les pressions, les angoisses, les responsabilités ? J’ai voulu frappé Georg à mon tour, non pas à cause de sa passivité face aux coups d’Anna, mais à cause de cette trouille inouïe d’assumer sa vie. Nous sommes très rarement les seuls fautifs dans le naufrage d’un couple : nous nous y mettons bien souvent à deux.

Par je ne sais quel miracle, Jan Bonny nous immerge dans une cellule familiale en pleine crise, et arrive à nous faire sentir tout le passé, tous les actes qui l’y a jeté. Nous sentons la lente déchéance, la flagellation constante de cette larve de mari, l’ego blessé d’Anna à force de vivre dans ce qu’elle considère être une existence de médiocrité, tous ces éléments qui ont dû pourrir, larvé dans leur foyer, leurs travails, nous sentons que tout cela date de bien des années. Depuis quand n’ont ils plus baisés ? Combien de repas avec la famille d’Anna, Georg a t il dû supporter ? Les retours le soir au foyer, avec leurs lots de « Comment s’est passé ta journée ? ». Bonny est de l’école de Haneke, il nous donne à voir ce que nous risquons de devenir, voire même ce que nous commençons à être, sans le moindre compromis. Il nous fout la gueule dans le pouvoir destructif du « jusqu’ici tout va bien », il nous fait ressentir la honte, la tristesse, la colère, de n’être ni plus ni moins que de simples êtres humains. Quel pauvre con que ce Georg, n’est pas ? Le réalisateur lui attribue tant de lâcheté, de faiblesse, de mièvrerie, qu’on aurait dû se ranger du côté de cette Anna qui le frappe en lui criant : « Pourquoi TU ne me frappes pas ? Pourquoi tu ne réagis pas ? ». Mais nous ne voulons pas. Pas pour ne pas l’accabler plus. Simplement parce qu’il est vrai dans ses actes. Il est humain. Son inaction, poussée à l’extrême par Bonny, c’est la notre, au quotidien, dans tous ces manques de réactions qui nous font si souvent dire : « Là, je me suis fait baisé la gueule ».

La vie est dure, qu’on la vive seul, à deux, ou en famille. C’est un combat, jour après jour, de devoir accepter que nous allons faire du mal à autrui par la force des choses. Que parfois, ne pas le faire serait l’abandonner. Que parfois, nous VOULONS faire mal. Notre société est tellement chargée de jugements, et la vie de mises à l’épreuve, que nier l’évidence de la violence, nier qu’il y a deux clans, les faibles et les forts, c’est nier la vie elle même.

Jan Bonny lui même joue le jeu : il nous file une grande claque pour ne pas oublier que vivre est une épreuve.

Publié dans Critique Cinéma

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